Par Pascale Reny
Vous pensez que la réforme des années 2000 a fait émerger l’idée que le matériel de manipulation était maintenant essentiel à la construction des sens du nombre et de la fraction? Détrompez-vous! Il n’en est rien! En septembre 1999, Louise Poirier a publié dans la revue Instantanés mathématiques un petit bijou de texte « Réflexion autour du matériel de manipulation ».
Mme Poirier s’est intéressée au matériel de manipulation, en cherchant à comprendre son rôle dans l’histoire de l’enseignement des mathématiques. Pour ce faire, elle en a retracé l’argumentation théorique derrière son usage au Québec. En voici un court résumé.
Le 20 avril 1888 était émis le premier programme d’études pour les écoles catholiques. On pouvait y lire : « avec les commençants, on doit se servir de menus objets ou d’un boulier-compteur pour leur donner une connaissance exacte des nombres… Une étude complète de la numération est trop difficile pour les commençants. »
Dans la version du programme de 1904, on retrouvait un conseil pédagogique, soit le recours à l’enseignement intuitif qui se définit comme étant le fait de recourir à un objet concret pour inculquer une notion abstraite. « Ainsi se servir de billes, de bâtonnets, de buchettes pour donner l’idée du nombre, des unités, des dizaines… Si le maître veut être bien compris des plus jeunes, il faut absolument user de ce moyen d’instruction. »
Cette idée de l’importance des procédés intuitifs devient même un principe du programme de 1923 et est reprise par Mgr Ross dans son Traité de pédagogie : «Tout problème sera rendu concret pour être expliqué et raisonné par les procédés intuitifs au moyen de lignes, de bâtonnets ou autres objets appropriés…» « Il faut partir des objets appartenant aux enfants (crayons, livres, doigts de la main…) ou encore des dessins qui fixent davantage l’attention… on le laisse manipuler lui-même les objets qu’il peut mettre ensemble et séparer à son goût, pour vérifier ce qu’on veut lui faire comprendre. »
Le programme d’étude fait l’objet d’une refonte majeure en 1948 (jusqu’en 1970), Gérard Beaudry, l’auteur de la section de l’arithmétique, traitait de l’importance du matériel. Il écrivait : « Dans certaines classes nombreuses, on trouve qu’il faut trop de temps pour la distribution et la mise en branle; on préfère s’en passer. Non! Mille fois non! Malgré une apparence de perte de temps, c’est toujours une grande économie. Un exercice de manipulation de trois minutes, où l’enfant touche et déplace des objets, peut sauver des heures d’explications et de calculs. »
C’est par ce programme que la notion de jeu éducatif apparait et la même remarque que pour la manipulation s’y appliquait. M. Beaudry, auteur aussi des manuels de la collection Le calcul vivant mettait en évidence la psychologie de l’enfant et le fait que « l’enfant comprend ce qu’il agit », « il comprend avec ses doigts ». Il faut donc, pour l’amener à l’abstrait, passer auparavant par le stade concret (démonstrations matérielles) et par le stade semi-concret (démonstrations faites au moyen de dessins). L’enfant ayant un besoin physiologique de bouger, le matériel de manipulation le lui permet en plus de jouer le rôle de soutien à l’attention.
Les recherches se poursuivaient pendant ce temps et le courant de pensée initié par Jean Piaget sur le constructivisme prenait forme. Ce courant teintera le programme de 1980 : « l’apprenant construit lui-même l’édifice de ses connaissances ». On y parle du rôle actif de l’apprenant, pas seulement de l’action physique, mais celui de l’activité mentale. « La manipulation permet plus que des associations d’idées, elle permet la construction de ces idées. » Piaget dira : « Ce que l’on désire est que le maître cesse de n’être qu’un conférencier et qu’il stimule la recherche et l’effort au lieu de se contenter de transmettre des solutions toutes faites. »
En somme, ce qui est le plus important ce n’est pas uniquement de faire manipuler les enfants, c’est la réflexion amenée par l’enseignant lors de la manipulation. Cette réflexion se fait par le biais du questionnement. Les questions d’information factuelle permettent de voir si les élèves connaissent certains faits mathématiques. Les questions d’explication amènent les élèves à verbaliser leurs actions et leurs gestes ainsi qu’à mettre des mots sur ce qu’ils font. Les questions de justifications permettent aux élèves de réfléchir sur leurs actions et d’argumenter leurs choix, tandis que les questions de comparaison et d’analyse permettent de comparer différentes procédures, de parler d’efficacité, d’analyser ce qui a causé erreur, etc.
N’est-ce pas là la trame de fond des critères d’évaluation des compétences en mathématiques au primaire???
Que retenir de l’histoire?
Oui, à la manipulation! Et cela depuis 125 ans!
Rendre concret ce qui est abstrait en passant par le semi-concret. Le matériel connaîtra un rôle de soutien à l’attention et Piaget viendra associer le processus d’apprentissage au rôle essentiel du matériel de manipulation. « On reconnaîtra alors l’importance de la manipulation dans la construction des concepts mathématiques. » Pourvu que l’activité mentale et réflexive y soit associée.
N’en tiens qu’à vous maintenant…
Bonnes manipulations!
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